Chacun aura constaté que le bail commercial est un contrat qui devient de plus en plus long. D’une quinzaine de pages il y a 20 ans, le bail en comporte aujourd’hui régulièrement trois ou quatre fois plus (sans compter les annexes, et que dire des BEFA…). Parmi les clauses à effet extensif de la taille et du poids d’un bail commercial, celles relatives aux dépenses que le bailleur peut refacturer au locataire sont en « pole position ». Alors même que l’inventaire « précis et limitatif des catégories de charges, impôts, taxes et redevances » liés au bail, prévu par la loi Pinel entrée en vigueur il y a maintenant cinq ans, peut constituer une annexe ou un article de plusieurs pages, la jurisprudence renforce cette tendance en considérant qu’à défaut d’avoir été spécifiquement mentionnées dans le bail, certaines charges ne pourront être refacturées.
A ce titre, aux termes de quatre décisions rendues en 2018 et 2019, la Cour de Cassation confirme, directement ou indirectement, l’approche restrictive de l’interprétation de telles clauses. Même si ces décisions ont été rendues sous l’empire du régime juridique applicable antérieurement à la Loi Pinel, il en résulte qu’à défaut de stipulation expresse, il est impossible de refacturer la charge litigieuse au locataire !
- Travaux nécessaires à l’activité stipulée au bail (3ème civ., 18 janvier 2018, n°16-26.011) : une association avait pris à bail commercial un immeuble pour y exploiter une crèche ; durant les travaux de réhabilitation de l'immeuble, confiés par le locataire à un promoteur, des plaques de fibrociment contenant de l'amiante ont été découvertes : la Cour de Cassation a considéré que le bailleur, dans le cadre de son obligation de délivrance, devait prendre en charge le coût des travaux nécessaires à l'activité du locataire telle qu'elle est prévue au bail, sauf "clause expresse contraire" ; en l’espèce, les travaux de désamiantage n’étant pas spécifiquement visés dans le bail, leur coût a donc été jugé comme étant la charge du bailleur ;
- Taxe d'enlèvement des ordures ménagères (3ème civ., 13 septembre 2018, n°17-22.498) : le bail prévoyait une obligation pour le locataire d'acquitter « sa quote-part des charges, taxes et dépenses de toutes natures afférentes à l'immeuble » : la Cour de Cassation a jugé que la TEOM ne pouvait être mise à la charge du locataire qu’en vertu d’une stipulation expresse du bail et « qu’elle ne constituait pas une charge afférente à l’immeuble » ;
- Travaux de raccordement aux eaux usées et d'installation d'un raccordement au réseau électrique (3ème civ., 11 octobre 2018, n°17-18.553) : cette décision est particulièrement édifiante quant à l’exigence des juges sur la précision requise des stipulations du bail relatives aux charges : le bail prévoyait que le locataire déclarait bien connaître les locaux loués, qu’il les prenait "dans l'état où ils se trouvent lors de son entrée en jouissance sans pouvoir exiger de travaux de quelque nature que ce soit ni remise en état de la part du bailleur" ; le bail précisait en outre que le locataire connaissant parfaitement les équipements des locaux, il déclarait faire son affaire personnelle de toutes démarches en vue d’obtenir les branchements desdits équipements et installations de toute nature nécessaires à l’exercice de son activité ; malgré ces déclarations, la Cour de Cassation a, à nouveau par référence à l’obligation de délivrance du bailleur telle que définie par l’article 1719 du Code civil, considéré qu’en raison de l'absence de stipulation expresse prévue dans le bail mettant à la charge du locataire le coût des travaux de raccordement aux eaux usées et d'installation d'un raccordement au réseau électrique, le bailleur ne pouvait refacturer ces dépenses au locataire ;
- Charges de copropriété (3ème civ., 9 mai 2019, n°16-24.701) : si le débat en l’espèce portait principalement sur la prescription applicable au litige entre le bailleur et le locataire, la Cour de Cassation rappelle toutefois, de façon incidente, que les charges de copropriété ne pouvaient être supportées par le locataire dans la mesure où elles n’étaient pas stipulées dans le bail ; il est intéressant de noter que ces charges avaient été payées pendant plus de dix ans par le locataire et que ce dernier les avait même refacturées à son sous-locataire ; en rejetant le pourvoi, la Cour de Cassation semble confirmer l’interprétation de la Cour d’Appel selon laquelle les charges de copropriété ne pouvaient être considérées comme des charges locatives.
En l’absence de définition, en matière de baux commerciaux, des charges dites « locatives », il conviendra donc de prévoir des clauses de plus en plus précises et mentionnant de façon expresse les charges dont le bailleur souhaite répercuter le coût au locataire, dans la limite toutefois, depuis la Loi Pinel, des dispositions de l’article R. 145-35 du Code de commerce.
Cette tendance s’inscrit en tout état de cause dans le prolongement direct de la position adoptée précédemment par la Cour de cassation en matière de refacturation de la taxe foncière ou encore de la vétusté.
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